Lorsque l’on pense au cinéma d’animation, il n’est pas rare que les premiers noms qui nous viennent à l’esprit soient Disney, Pixar ou encore Ghibli. L’industrie semble être dominée sans égal par deux grands pays de ce monde, les États-Unis et le Japon. Mais, force est de constater que, depuis quelques décennies maintenant, le cinéma d’animation Européen n’a pas à rougir devant les grands, proposant même une façon différente et novatrice de voir ce média, cela peut s’expliquer de différentes manières.

Une raison historique et un secteur dynamique

 

Les années 80, une décennie charnière.

C’est à la fin de cette décennie, en 1987, que le programme Média (mis en place par l’union Européenne), participe à la création de l’association Européenne du film d’animation, communément appelé Cartoon. L’objectif était clair, redonner au cinéma d’animation Européen ses lettres de noblesse et son importance légitime face au Japon et aux États-Unis.

Le cheminement a été long, il a fallu de nombreuses rencontres aux coordinateurs de Cartoon pour comprendre et développer l’offre qu’ils allaient proposer grâce au programme Média. La principale particularité de l’association est que, peu importe les nouveaux évènements ou nouvelles mesures mis en place, tout se faisait en contact avec les professionnels des 4 coins du continent avec pour seule idée de restructurer l’industrie de l’animation Européenne et lui donner un second souffle. Cette initiative du programme Média met en lumière une des spécificités de l’animation Européenne : sa transversalité entre les différents pays. En effet nous avons aujourd’hui très peu de productions qui sont le fait d’un seul pays, les co-productions sont légions. Cela semble évident que, pour pouvoir se faire une place sur le marché mondial, des pays de cette taille ont besoin de s’associer, mais l’Europe, majoritairement via le programme Média, a réussi à mettre en place une dynamique propice aux co-productions entre les pays qui la composent, permettant la résurgence de nombreux films, qui n’auraient pas pu être du fait d’un seul pays. Cela n’était pas une mince affaire, avant la mise en place de Cartoon, l’industrie Européenne était réellement déstructurée et fragmentée, ne pouvant faire face au Japon ou aux États-Unis. Grace à la mise en place d’une ère de confiance entre les différents pays et grâce à beaucoup de temps et de patience de la part des principaux acteurs de ce changement, l’animation Européenne se porte aujourd’hui mieux qu’elle ne l’a jamais été, favorisant l’émulation entre les pays qui la composent.

En parallèle, le festival du film d’animation d’Annecy, créé en 1960, met en place une nouvelle récompense en 1985 : Le Cristal du long métrage, montrant ici une volonté de se développer et de mettre en avant les films d’animation. Quelques années plus tard, en 1997, le festival passe d’une édition biannuelle à un évènement qui aura lieu tous les ans, preuve s’il en faut du succès de ce festival, considéré comme l’un des plus importants (si ce n’est le plus important) lorsqu’il s’agit d’animation. Ce passage est symptomatique d’une évolution des mœurs et d’une hausse de l’intérêt pour l’animation en France d’une part et en Europe dans un sens plus large. Cette tendance n’a de cesse de se développer et continue encore après les années 2000 avec, particulièrement, en 2009 et la création de l’EFA (European Film Award for best Animated Film) qui tient à mettre en avant les perles du cinéma d’animation Européen.

Au dela du festival d’Annecy, on retrouve une concentration importante de festivals dédiés à l’animation en Europe, Anibar Animation Festival au Kosovo, Anifilm en République Tchèque, London International Animation Festival en Angleterre ou encore Anima en Belgique. En comparaison il n’y a quasiment que le Siggraph aux États-Unis et Hiroshima International Animation Festival au Japon. Cette densité peut s’expliquer par l’importance qu’à l’animation en Europe et par une volonté de mettre en avant la diversité des productions.

 

Un pays phare : La France

À travers ces différents organismes et festivals mis en place, l’animation en Europe se développe, se professionnalise et surtout prend de l’importance. Si cela est possible c’est notamment grâce à un pays, qui représente 40% de la production d’animation de la région et un savoir-faire réputé : la France. En effet le pays est considéré comme le troisième pays le plus important en termes d’animation, derrière le Japon et les États-Unis.

Comme nous pouvions nous en douter, l’animation est ce qui s’exporte le mieux du pays. Cela s’explique relativement facilement par le fait que le genre est plus universel et que doubler un film d’animation ne le dénaturera aucunement, comme cela peut être le cas pour un live action.

La tendance dans le pays est au soutien de l’animation, en effet depuis 2016, il y a une volonté de la part de l’État et de divers pouvoir public de recentrer l’animation française et promouvoir le Made in France. Les dépenses liées au secteur ont donc augmenté drastiquement, représentant jusqu’à 344 millions d’euros en 2017, soit 182 millions de plus qu’en 2005.

Il faut dire que le dynamisme de l’animation en France est réellement élevé avec plus de 120 studios d’animation dans le pays et une volonté du Syndicat des producteurs de film d’animation d’augmenter encore la masse salariale du secteur. C’est donc un secteur important mais toujours en expansions.

 

Quelques chiffres pour l’année 2017 :

L’animation cette année-là c’est 5 longs métrages pour le cinéma, faisant 31 millions d’entrées en salle et 187 millions d’euros de recettes.

Le dynamisme du pays est un exemple et un moteur pour le reste de l’Europe.

 

Zoom sur l’Estonie

L’Estonie n’est pas un pays connu pour sa grande industrie du cinéma, néanmoins, ce pays a su, et sait toujours se faire une place sur la scène de l’animation Européenne. D’une part c’est l’un des premiers pays à avoir réalisé des films d’animation, le premier d’entre eux The adventure of Jugu the Dog de Voldemar Päts date de 1931. Le cinéma d’animation estonien est, depuis ses débuts, centré sur le « fait-main » et ouvert aux nouvelles expériences (ce qui est assez révélateur du cinéma européen en général), c’est un cinéma qui est curieux et réellement ambitieux. Comme le dit Aurelia Aasa dans l’introduction de A Quick Introduction to Estonian Animation : « [Animation] is about finding your peculiarity. Because where else, if not in animation, could you bring your most bizarre dreams into life?”. C’est un cinéma assez intimiste, de niche, mais regorgeant d’idées et de réalisateurs de talent à l’image d’Heino Pars ou encore d’Elbert Tuganov.

Mais son histoire est loin d’être achevée, aujourd’hui encore c’est un domaine en expansion dans le pays, toujours à la recherche de nouveaux talents et de nouveaux animateurs. Une grande partie des studios d’animation restent dans la lignée historique du « fait-main » (Handicraft) et d’autres, tel A fim Estonia, un des plus gros studios, cherchent à s’en affranchir et à suivre une dynamique plus commerciale et propice à l’exportation. Mais ce qui fait la richesse de l’animation estonienne c’est la diversité dans les œuvres proposées, qui grandit d’année en année.

Ce qui fait sa particularité peut être, c’est l’ironie et le sarcasme qui sont prégnants dans ses réalisations. En effet la satire sociale est un des fers de lance historiques de l’animation Estonienne.

Les divers organismes du pays veillent à dynamiser l’animation dans leur territoire, le Estonian Film Institute par exemple propose des financements intéressants allant jusqu’à 280 000€ pour un court métrage. Ces financements sont faits pour attirer les autres pays et augmenter les productions/co-productions estoniennes. Concernant les co-productions de longs métrages d’animation, le budget est d’au moins 2 000 000€ par an, ce qui représente une somme colossale pour un si petit pays.

A noter également que, comme dans la majorité des pays d’Europe, un festival centré sur le festival d’animation a lieu chaque année : le PÖFF short. L’Estonie est donc un pays insoupçonné mais réellement représentatif des différentes dynamiques qui régissent le cinéma en Europe et qui en font sa particularité.

Que ce soit en France, en Estonie ou partout ailleurs en Europe, l’animation commence réellement à trouver son public, représentant 15% des entrées en moyenne par pays Européen (incluant Russie et Turquie) entre 2010 et 2014, montant même à plus de 20% dans les pays baltes et une moyenne de 180 millions de billets par année.

 

Des films et une manière de fonctionner novateurs :

« L’Europe est beaucoup plus audacieuse que Hollywood, n’hésitant pas à aborder des sujets d’actualité : l’immigration, l’environnement, la pauvreté et les problèmes sociaux », voilà ce que déclare Marc Vandeweyer, directeur général de Cartoon au journal La Croix lors de la tenue annuelle du Cartoon Movie, évènement participant à trouver des financements pour des co-productions de longs métrages d’animations européens.

En effet, si le Japon et les États-Unis ont atteint une certaine phase d’industrialisation de l’animation, l’Europe reste dans le développement de technique plus artisanales et cherche toujours à innover, proposant donc un cinéma d’animation plus artisanal. Néanmoins il faut reconnaître une différence principale de la façon de voir l’animation entre les deux grands. Les États-Unis sont principalement connus pour leurs Majors, Disney, Pixar, laissant très peu de place au réalisateur alors qu’au Japon, malgré la prégnance des studios Ghibli, c’est le réalisateur qui est mis le plus en avant, nous pouvons notamment citer Hayao Miyazaki, Satoshi Kon ou encore Isao Takahata. La logique d’industrialisation est donc plus grande aux États-Unis, qui produisent plusieurs films par an, qu’au Japon qui en produisent rarement plus d’un chaque année.

L’Europe, de son côté, est considérée comme un troisième ensemble, principalement dû aux nombreuses co-productions. L’animation européenne est imprégnée du devoir de mémoire, que ce soit en Europe (Where is Anne Franck de Ari Folman, Tre Infanzie de Simone Massi), sur des Européens dans le reste du monde (Another Day of Life de Raul de la Fuente et Damian Nenow sur un auteur Polonais pendant la guerre civile en Angola) ou sur des évènements ayant eu lieu à l’autre bout du monde (Funan de Denis Do sur la révolution des Khmers Rouges au Cambodge, Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec)

Certains de ces films (Another Day of Life parmi ceux cités ci-dessus mais également The State Against Mandela and the Others de Nicolas Champeaux et Gilles Porte) sont des films d’animation documentaire, cela permet de raconter plus facilement des évènements dont on a aucune image d’archive et d’adapter plus librement des livres historiques.

Mais bien évidemment, le cinéma d’animation Européen est varié, il se retrouve même derrière des succès commerciaux américains. En effet, Klaus le film produit par Netflix, est une réalisation espagnole de Sergio Pablos inspiré de l’histoire Scandinave. Bien qu’on puisse y voir la une énième production américaine, son origine et son inspiration nous viennent bien d’Europe.

       

Zoom sur Checkered Ninja, (Ternet Ninja)

Checkered Ninja est un film d’animation Danois qui semble de prime abord relativement consensuel. En effet on suit l’histoire d’un petit garçon nommé Alex, timide, qui tombe amoureux d’une fille un peu plus âgée et se fait maltraiter par les caïds du collège. Il se fera aider par une poupée ninja qui prendra vie pour le pousser à s’accomplir.

Mais on réalise rapidement que l’on n’est pas devant une production Disney tant le ton du film est décalé et l’humour parfois corrosif. Surtout, le film aborde beaucoup de thèmes sociétaux au delà du harcèlement, les familles recomposées et même le travail forcé en Asie.

Ce film a été un véritable succès au Box-Office Danois avec plus de 950 000 entrées (quasiment 1/5eme de la population Danoise). Repéré à Annecy ensuite, il est en route pour se faire une carrière Européenne voire internationale.

 

En conclusion, le cinéma d’animation Européen a énormément de pépites à offrir, pour tous les goûts et tous les genre, proposant un travail moins policé que ce qui peut se retrouver chez Disney par exemple. Il n’a pas peur de choquer ou d’être novateur et vaut le coup qu’on s’y intéresse.

Louis Perrin

 

Sources :

Book: « A Quick Introduction to Estonian Animation » by Sigrid Saag and Eda Koppel

Estelle
Author: Estelle

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